NICE MATIN 16 Décembre 2001

 

Pierre Palmade : « Véro, l'amour d'une vie »

 

 

Mireille Dumas consacre un portrait, mardi, sur France 3, à l'un de nos meilleurs humoristes. Il y parle pour la première fois et la dernière, de ses ambiguités, et de la sincérité de son mariage. Il s'en explique dans notre interview du dimanche

Vite, une salade au foie gras. Vite, un bordeaux frais. L'artiste a faim, au bar du Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, où il vient de triompher, en soirée, dans Ils se sont aimés (1). Pierre Palmade pète la forme. Pourtant, l'après-midi, il a renoncé à l'interview. L'angoisse à domicile. Il ne triche pas. L'approche de la diffusion du portrait que lui consacre Mireille Dumas, mardi, sur France 3, l'inquiète.

 

« Pourquoi, alors que vous en sortez grandi ?
- Il serait temps, à 33 ans. Je m'expose. Alors, je m'inquiète. J'ai l'impression que c'est mon procès. On a vu, longtemps, en moi, un extra-terrestre, parce qu'à 20 ans j'ai voulu être quelqu'un d'autre. J'avais fait le deuil de me faire comprendre.
 

 

- Vous auriez pu choisir un psy...
- Avec Mireille, je gagne du temps. J'ai été en voir un. J'ai arrêté au bout de cinq séances. Il ne rigolait pas, et sa neutralité m'énervait. J'ai besoin d'affection dans les confidences.
 

 

- Pour la première fois, vous évoquez votre bisexualité...
- Et pour la dernière fois. C'est venu dans la conversation, avec Mireille. Elle ne cherchait pas du « croustillant ». Elle m'obligeait à l'élégance. Sinon, j'aurais demandé qu'on coupe au montage.
 

 

- Pourquoi l'avoir dit ?
- C'est dur de décider de le dire. Je n'en parle jamais, dans la vie, mais ne m'en cache pas. D'une certaine façon, tous les artistes sont bisexuels. Ils plaisent autant aux femmes qu'aux hommes.
 

 

- Est-ce du courage ?
- Ce serait vaniteux, de répondre oui. J'ajoute que je ne peux me réduire à l'homosexualité, sous prétexte que je suis régulièrement attiré par des garçons. Que je ne peux être romantique qu'avec les femmes. Je n'offrirai pas des roses à un homme, ou lui ferai couler son bain. Je réserve cette tendresse à mes liaisons féminines.
 

 

- Avez-vous averti Véronique de cette confidence filmée ?
- Le contraire aurait été inélégant. Elle n'y a rien vu de coupable, au sens du ciseau. « C'est toi », m'a t elle dit, et elle a ajouté : « J'ai le meilleur de toi. »
 

 

- On en vient à l'un des moments les plus émouvants du portrait. Le dialogue sur votre mariage...
- Là aussi, pour la première, et pour la dernière fois. Quand nous nous sommes mariés, il y a six ans, certains articles, et insinuations, nous ont blessés. « Coup de pub », ont osé dire certains. Comme si nous en avions besoin. « VSD » a comparé notre mariage à la mascarade de Coluche, et Thierry Le Luron. Cela a été une vraie souffrance, pour nous deux.
 

 

- Où est la vérité de ce mariage devant Dieu ?
- J'ai rencontré Véronique chez des amis. J'ai su que c'était le grand amour, celui d'une vie, qu'on met dans un écrin. Nous avons parlé. On aimait, alors, de moins en moins l'amour. ça nous a rendus amoureux. Nous n'étions que deux solitudes. Nous les avons mariées.
 

 

- On peut, quand même, s'étonner que vous ne viviez pas ensemble...
- Est-on plus proche de celle qu'on aime, parce qu'on partage la salle de bains ? On n'a pas besoin de vivre ensemble, pour être ensemble. On dit qu'on se marie pour le meilleur, et pour le pire. Nous, c'est pour le meilleur, et le meilleur.
 

 

- Véronique dit : « Je l'ai dans la peau. Même lorsqu'il m'a fait les 400 coups, je n'ai pas pu m'en dépêtrer. C'est comme un virus »...
- Que puis-je ajouter ? Elle dit qu'elle a l'impression que je suis dans sa peau, qu'elle me connait mieux que personne.
 

 

- Vous voyez-vous souvent ?
- On peut se voir très souvent, comme ne pas se voir pendant deux mois. Là, ça redevient hystérique. Si nous ne nous étions pas éloignés, nous nous serions quittés. On se téléphone sans cesse, pour des riens.
 

 

- La différence d'âge, dix-neuf ans ?
- Cela a fait, aussi, partie des insinuations, qui nous ont fait souffrir...
 

 

La réponse est dans le portrait de Mireille Dumas. Véronique Sanson apparait lumineuse, la beauté, et la voix au sommet. Plus jeune fille que jamais.
...Oui, les femmes de la cinquantaine. L'âge de ma mère. Pas besoin de déranger Freud, pour retrouver des relations très œdipiennes, un transfert. Déjà, à l'école, je préférais les mères de mes copines à mes copines.
 

 

- Vous ne divorcerez jamais ?
- Jamais. Ou alors, il faudrait qu'il y ait un autre amour, de son côté. Le temps est notre meilleur allié.
 

 

- Elle dit que vous l'aimez parce qu'elle est Véronique Sanson, et inversement...
- L'admiration est essentielle, dans l'amour. Je suis heureux d'être l'élu d'une femme aimée, admirée, de millions de gens.
 

 

- Votre chanson préférée de Véronique ?
- Ma révérence. Véro l'a écrite jeune (2), et c'était déjà un testament : « Quand mon fils sera grand. Qu'il n'aura plus besoin de moi. Quand les gens qui m'aimaient seront emportés loin de moi »...
 

 

- Cet été, nous vous avons rencontré en Corse, chez Mireille Dumas...
- J'étais parti pour deux jours à Serriera. Je suis resté neuf jours. Véro m'a rejoint. Mireille, son mari, Dominique, leur famille, les amis, m'ont permis de mieux découvrir la Corse. Moi, le citadin, bordelais naturalisé parisien, je me suis réconcilié avec la nature. Mireille a filmé deux séquences avec sa caméra DV, pour le portrait.
 

 

- Avec elle, c'est vraiment le grand amour...
- La grande amitié. Elle a une telle capacité d'écoute. Nous avons des points communs. Elle n'habite pas avec Dominique, et il n'y pas couple plus proche qu'eux. Elle a perdu son père quand elle avait 3 ans. Moi, j'avais 8 ans.
 

 

- Ce père que l'on aperçoit, sur un film d'amateur, dans le portrait...
- Il était médecin accoucheur. Il est mort dans un accident de voiture.
 

 

- Quelle image vous reste-t-il de lui ?
- Quelqu'un qui jouait, avec moi, au train électrique, à quatre pattes, qui me faisait les gadgets de « Pif », qui nous filmait, avec mes deux sœurs, en super 8. Gaga de ses enfants.
 

 

- Votre mère jure que vous lui ressemblez...
- ça m'étonne moi-même. Quand on regarde des photos de lui à 18 ans, si l'on ne sait pas, on croit que c'est moi. Je marche comme lui, aussi. ça n'a pas été facile pour ma mère, un tel flash-back devant elle.
 

 

- Votre père vous manque t-il ?
- ça passe. Ce n'est pas un tel traumatisme. Je suis plus triste pour lui que pour moi. Dans mes sketches, il n'y a pas de personnage de père. Je n'ai pas d'exemple. Quand je me suis marié, j'ai rêvé qu'il soit là. J'aurais voulu qu'il connaisse Véro.
 

 

- Qu'a changé son absence, dans votre enfance ?
- Je me suis retrouvé l'homme de la famille, à 8 ans, avec ma mère, et mes sœurs. J'étais le maitre du monde, l'enfant Jésus. Au moment où l'on pose des questions, à la puberté, j'aurais aimé que ce soit à lui, pas à ma mère. Ca dérange, ca marque à vie.
 

 

- Votre père aurait-il toléré que vous quittiez HEC, pour tenter votre chance à Paris ?
- Sans doute. Il était très variétés, à la télévision. Il était drôle. Il nous faisait jouer des scènes de comédie. Il avait eu des velléités d'artiste. Ai-je fait la carrière qu'il aurait voulu faire ? Je me le demanderai toujours.
 

 

- Et votre mère, prof d'anglais, à l'étrange prénom ?
- Réanne, contraction de Reine Jeanne. Elle m'a laissé partir, en se disant : « Il reviendra vite ». Elle m'a alloué 2000 F par mois, pour que je ne meure pas de faim. J'étais le seul à croire en moi. Je connaissais mon feu. J'avais tout à prouver. Ma vie commence, là, à 19 ans. Avant, j'attendais.
 

 

- Pourquoi artiste ?
- J'adore l'humour, les paillettes, le star système, dans ce que ça a de magique, et de ridicule. Petit, je me mettais des disques d'applaudissements dans ma chambre, et je saluais tout seul. J'ai vu Jacqueline Maillan à la télévision, dans une pièce. J'ai dit : « Je veux faire ça ». Plus tard, je l'ai connue, j'ai écrit pour elle. Quand elle est morte, j'ai voulu la rejoindre. Elle était mon enfance.
 

 

- Après ce souper, allez vous rentrer directement chez vous ?
- Pas sur, mais pas trop tard, non plus. Après l'incroyable l'intensité de la scène, on ne veut pas que la vie s'arrête, et se retrouver seul. On a connu un tel sentiment d'immortalité. J'ai souvent confondu mourir, et dormir. Reculer le sommeil, c'était reculer la mort.
 

 

-- Avec, au bout de la nuit, l'alcool, que vous évoquez dans le portrait...
- Je suis excessif, en tout. J'ai donc pu l'être dans l'alcool.
 

 

- On découvre, à propos d'alcool, le lien qui vous unit au chanteur Patrick Juvet...
- Son histoire, un succès fou, à 20 ans, ressemble à la mienne. Il m'a mis en garde, sans me faire la morale, sans me faire peur, comme d'autres. Il veut m'éviter les dérapages dans l'alcool. Il rappelle que ça lui a gâché la deuxième moitié de sa vie. Vingt ans pour se remettre d'une gueule de bois.
 

 

- Où en êtes-vous ?
- Je suis moins hystérique, moins torturé. J'ai accepté que je ne sois pas immortel, que je vais vieillir, et je me ménage. Il n'y a pas fête, pas plaisir, aussi génial que d'être sur scène.
 

 

- Vous claquez toujours autant d'argent ?
- Ma mère thésaurise un peu, pour moi. Je ne suis propriétaire de rien. Je ne veux me payer que des souvenirs, des fêtes, des moments. Un jour, j'ai loué un jet privé, pour aller aux Baléares, avec des copains.
 

 

- Chez vous, pas de livres, peu d'objets...
- Je ne lis pas, à part un peu de psycho. Tout me vient des conversations. Sinon, c'est comme l'argent. Je préfère les souvenirs aux objets. Je collectionne la vie.
 

 

- Après Véronique, et Muriel Robin, l'autre femme de votre vie, c'est Michèle Laroque...
- On s'aime franchement. C'est l'une des rares personnes avec qui je n'ai pas d'ambiguité. Je pourrais déraper avec beaucoup de mes proches. Pas avec Michèle. Ce n'est pas faute d'être jolie. »
 

 

1- L'un des triomphes de la saison. Avec Michèle Laroque, Pierre fait salle comble tous les soirs. Vu la qualité du spectacle, c'est mérité.
2- En 1978.

Nice Matin - Dimanche 16 Decembre 2001